mardi 7 mai 2013

Le Désamour

Coloriage mère et enfant
Je ne savais pas qu'on pouvait ne pas aimer un enfant.
J'ai eu pendant plusieurs jours le spectacle de ce désamour et voir Brin d'Osier dans cette situation m'a brisée.
Il a joué et ils l'ont regardé, les yeux habités d'une indifférence glaciale, à la lisière du mépris et de l'agacement.
Il a parlé et ils ne l'ont pas écouté, comme s'il était absent de leur espace, comme s'ils croisaient un inconnu.
Il a été poli et ils n'ont pas entendu, ni ses mercis, ni ses au revoir, ni ses s'il te plait.
Il a ri et ils ont ignoré sa joie d'être un enfant et leurs visages figés dans leur masque de sévérité ont insulté son bonheur.
Il a cherché à exister à leurs yeux, en bien d'abord, puis en mal et il a fini par les conforter dans leur jugement endeuillé d'indulgence et de gentillesse.

Je suis sa maman. Je n'ai pas accepté de laisser cette injustice s'installer et s'insinuer dans le royaume de confiance, d'estime et d'ambition que l'on construit jour après jour l'un avec l'autre. J'ai senti que l'édifice allait se fissurer, laissant entrer un doute mortifère et fatal.
Alors je l'ai dit. J'ai juste dit ce que je voyais. Calmement. Sans agressivité. La voix brisée par l'immense peine qui me torturait déjà. Mais dignement. Avec la volonté de laisser parler la raison avant l'émotion. En habituée de la rhétorique et de l'analyse des discours et de leurs enjeux, j'ai utilisé tout ce que savais sur la manière de modaliser son propos, de le rendre convaincant, de temporiser et d'obtempérer, de respecter l'autre dans sa pensée.

J'ai dit que Brin d'Osier était différent de d’habitude et qu'il était littéralement hors de lui depuis trois jours et on a pincé les lèvres d'un air entendu.
J'ai dit que Brin d'Osier était en avance du point de vue psychomoteur et on m'a répondu qu'on n'avait rien vu de ce dont je parlais.
J'ai dit que Brin d'Osier était doué d'une merveilleuse curiosité et d'une mémoire étonnante et que la vie à ses côtés était d'une grande richesse et on m'a dit qu'on avait plutôt constaté qu'il avait régressé à cause de mon omni-présence.
J'ai dit que Brin d'Osier savait faire beaucoup de choses tout seul et on m'a assurée qu'il était désespérément dépendant de moi.
J'ai dit que Brin d'Osier avait plein de connaissances et on l'a testé en mettant à l'épreuve son intelligence à grands renforts d'exercices et d'interrogations.
J'ai dit à Brin d'Osier qu'il avait le droit de se défendre et qu'il pouvait refuser de prendre part à cette guerre mesquine et malsaine et il m'a répondu du non le plus sérieux du monde, du haut de ses trois ans de courage et d'orgueil, comme s'il lui fallait faire encore ses preuves pour se faire aimer de ses geôliers . Et cette violence faite à sa naïveté m'a fait profondément mal.

J'aurais pu claquer la porte. Par respect pour lui. Par respect pour toutes les valeurs que je défends au nom d'un idéal : faire de lui un homme heureux capable de donner du bonheur et capable de faire des choix. Peut-être était-ce ce qu'on attendait de moi. De celle qui sait trop ce qu'elle veut, de celle qui ose remettre en cause les vertus de l'école, de celle qui prétend éduquer un enfant en le couvrant d'amour, de câlinerie et d’indulgence, de celle qui bouscule les idées reçues et qui idéalise l'enfance sous toutes ses coutures.
Je me suis dit, tiens bon, ils attendent de te voir tituber puis sombrer dans le gouffre de la colère ; ils attendent que tu t'égares dans les aigus, les yeux enflés de larmes refoulées ; ils attendent que tu cèdes à la folie hystérique qui s'empare des mères indignées.
J'ai tenu bon. Par fierté. Ils m'ont poussée à me justifier et je l'ai fait, comme une presque noyée se débat pour tenir la tête hors de l'eau.

Je me demande ce qu'on peut faire de pire à une mère que lui montrer que son enfant n'est pas digne d'être aimé...

5 commentaires:

  1. Texte très poignant.... j'imagine la douleur que tu as dû ressentir.. et pas facile d'avoir un enfant qui ne rentre pas dans le moule... c'est justement le sujet de mon dernier billet.

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  2. C'est très touchant ce que tu as écrit je suis bluffée comme à chaque fois! Sur le contenu, je suis d'accord avec toi, être maman c'est aussi souffrir pour nos enfants. J'ai cette hantise qu'on leur fasse du mal et qu'ils souffrent...

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  3. Oui, on comprend très bien ton immense peine, ton chagrin, ta colère devant tant d'indifférence, de froideur, de mauvaise foi, "d'inhumanité". Tu es su être plus forte qu'eux en résistant à leurs attaques, en restant digne et calme. On comprend évidemment ta peine devant l'innocence bafouée, moquée de Brin d'Osier, devant sa candeur dont ils se sont joué. Mais votre droiture, votre justesse vous honorent l'un et l'autre. Qui étaient-ils ? Famille, relations, voisins, rencontres d'un jour, "professionnels de l'enfance" ? Cela ne change rien au mal qu'ils vous ont fait, cela explique peut-être différemment. Pourquoi ont-ils fait cela ? Pourquoi ? Pour quoi ? Warum ? Was fur ? Ont-ils oublié ce qu'est l'enfance ? Sont-ils jaloux ? Sont-ils pleins de théorie, de principes ? Manquent-ils tout simplement d'amour, d'humanité ? Ont-ils été rigidifiés par le temps, par la vie, par le malheur ? Je m'arrête un instant sur ta dernière phrase : "que son enfant n'est pas digne d'être aimé". De toute façon, tout enfant est digne d'être aimé, quoi qu'il sache faire, quels que soient sa beauté, son intelligence, sa précocité, ses talents, ...
    Tu t'en rends compte, l'éducation est un vaste sujet, qui n'a pas fini de diviser. En matière d'éducation, on trouve tout et son contraire. Lorsque notre premier est né, il pleurait énormément et on lisait beaucoup de choses, sur les enfants aux besoins intenses, sur la nécessité de rassurer, porter, allaiter, ... Au même moment, ma belle-mère disait qu'il fallait le laisser pleurer pour qu'il fasse ses poumons... !! A l'époque, c'était dur pour nous. Nous avons fait comme nous le sentions, comme nous pouvions. D'autres auraient fait différemment, convaincus autant que nous. Qu'est-ce qui donne les meilleurs "résultats" en matière d'éducation ? Répondre n'est pas simple. Ce qu'est un enfant à 2, 3, 5 ou 10 ans, c'est bien sûr le résultat de notre éducation, je veux dire de nos principes éducatifs, mais aussi de ce que nous sommes, de notre nature, de notre milieu social mais également de ce que l'enfant apporte avec lui, j'en suis convaincue. Continue de couvrir Brin d'Osier d'amour, d'affection, de ta présence, de tes câlins si tu sens que c'est le mieux pour qu'il se construise (ce dont je suis également persuadée) sans te préoccuper du jugement des autres. De toute façon, il y aura toujours des exemples, des contre-exemples pour confirmer ou infirmer une théorie. Tu n'as à te justifier devant personne, surtout pas devant des "étrangers" incapables de la moindre sympathie. Que cette mésaventure ne te fasse pas douter. Mais n'hésite pas non plus à en rediscuter avec des proches, avec Mr Perfect, ... Ils peuvent te donner un éclairage un tout petit peu différent, pas inintéressant non plus.
    Estelle

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  4. ton billet me touche bcp,mais je reste persuadée que l'amour d'une maman est la chose indspensable a l'education d'un enfant; je suis grand mere , j'ai elevé 3 enfants et l'amour, laffection, la connivence avec chacun d'eux a tjrs ete ma priorité
    Je ne regrette rien , rien rien, mes 3 gars sont maintenant des hommes droit, respectueux , papas de petits adorables, a qui l'ont dispensent tout l'amour que l'ont peu. la boucle n'est pas bouclé mais je suis fiere d'eux
    courage pour la suite , eleve ton petit du mieux que tu le sens , et essaies d'oublier le jugement de ceux qui se permettent de juger, de quel droit?
    Martine

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  5. Profondemment touchée par votre émotion, votre indignation, votre incompréhension face à " l'ennemie" que vou avez osez affronter malgré tout. Le courage dont vous avez faits preuve, et la maitrise de vous-même, je ne pense pas que je l'aurais eu.
    Je vous admire pour l'éducation que vous donnez à Brin d'Osier. Et je suis bien placée pour m'en rendre compte.
    Ne pretez que peu d'attention aux personnes qui vous ont blessées. Vous savez... Vous que Brin d'Osier n'est pas l'enfant q'ils ont vu avec leurs yeux " Aveugles"...Oui, le mot est fort, mais si je me pemets de l'utiliser, c'est tout simplement parceque j'ose prétendre (pardonnez ma hardiesse) mieux connaître votre fils que ces personnes là. C'est un petit garçon très éveillé et plein de connaissances pour ses 3 ans. Il me surprend chaque semaine par son savoir et sa curiosité à vouoir toujours aller de l'avant...Et apprendre toujours plus

    Alors, maman Griotte, ne vous inqiettez pas et surtout continuez à enseigner votre savoir à Brin d'Osier ainsi qu'à Croquembouille qui lui aussi va avoir la chance d'apprendre grâce à vous et aux acquis de son grand frêre.

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